Le football en Algérie, un sport politique

14 juillet 2019, 22h49. La sélection algérienne de Djamel Belmadi n'a plus qu'une minute pour devancer le Nigéria au score en inscrivant un deuxième but, significatif d'accès en finale de la Coupe d'Afrique des Nations. L'arbitre siffle faute sur Ismaël Bennacer à l'entrée de la surface de réparation. Riyad Mahrez se charge alors de tirer ce coup-franc, et d'une sublime frappe, il envoie la balle dans la lucarne d'Akpeyi. Le citizen, numéro 7 de sa sélection, offre ainsi le magnifique cadeau d'une finale de CAN à sa sélection, et naturellement à tout le peuple algérien.
Avant le jour-j tant attendu, D.Belmadi disait en conférence de presse: "On veut être représentatifs et montrer au monde ce que les Algériens sont capables de faire, comme c'est le cas avec les manifestations chaque vendredi. On veut être heureux et célébrer dans l'ordre, tout en ayant le respect des pays dans lesquels on se trouve. C'est très important pour nous."
Par ces mots et par l'attente des supporters, la relation particulière du peuple algérien avec le football se fait grandement ressentir, alors que celle-ci se démontre de plus en plus par les contestations populaires, nées dans les stades.
Mais comment les algériens ont su profiter du football pour exprimer leurs opinions et contestations politiques? Comment peut-on comprendre que le patriotisme algérien s'exprime autant à travers le football? Quelles en sont les conséquences dans le pays?
Le contexte: retour sur l'origine du mouvement contestataire
Le mouvement contestataire était bel et bien présent depuis des décennies en Algérie mais il ne s'exprime physiquement que depuis le 22 février dernier, avec, tous les vendredis, le rassemblement du peuple dans les rues des grandes villes du pays. L'objectif de la contestation actuelle, qui va donc bientôt fêter son "premier anniversaire" était bel et bien le « départ du système », après le fait que l'ancien président algérien Abdelaziz Bouteflika (1999-2019) pouvait poursuivre un cinquième mandat à la tête du pays, alors qu'il n'était plus apparu depuis 2013 devant les médias. Ceci était d'ailleurs l'une des principales causes de la demande de démission du président algérien par le Hirak (nom donné au groupe qui rassemble l'ensemble de la population contestataire): le manque de transparence du régime, avec également la dénonciation de la corruption de l'ensemble de la classe politique.
La place du football dans ces contestations
Si le mouvement populaire s'est internationalisé, et ce grâce aux médias, c'est en partie grâce aux stades de football et aux groupes de supporters algériens. Le chant La Casa Del Mouradia écrit par les supporters de l'USMA (Union Sportive de la médina d'Alger), qui résonnait dans les rues de la capitale pour dénoncer le nouveau mandat de Bouteflika illustre bien cette influence . Ce chant trouve son origine dans les stades algériens, rares endroits dans lesquels l'expression du peuple est libre. Il résume la souffrance et la lassitude de "cette vie" en Algérie, en faisant une métaphore du quartier où se trouve le palais présidentiel (El Mouradia) avec la célèbre série La Casa de Papel, pour dénoncer l'omniprésence des affaires politico-financières du président au sein de l'état. La jeunesse algérienne, en passant par le football et la liberté que ce sport lui donne, a su dénoncer et crier dans des stades ce qu'une population entière attendait de pouvoir exprimer. Les chants contestataires contre Bouteflika, chantés par une centaine de supporters, ont su prendre une influence conséquente jusqu'à ce qu'ils soient chantés par toutes les générations dans la rue. S'en est alors suivi un mouvement général beaucoup plus fort qui dénonce cette oligarchie en Algérie.
Il est aujourd'hui fort de constater qu'un mouvement qui partait de stades de football a su prendre une ampleur nationale, voire internationale avec une médiatisation importante, jusqu'à ce que le peuple se fasse entendre. Bouteflika a effectivement démissionné en Avril dernier, trois mois après le début du "Hirak". Mais les élections de Décembre 2019 ont donné le pouvoir à des acteurs du système en place depuis l'indépendance du pays en 1962, qui laisse ainsi une forme de continuité à la politique de l'ancien président.
Le football et la politique en Algérie restent deux domaines qui réunissent le peuple algérien toutes les semaines, avec un patriotisme toujours plus exprimé, comme nous avons pu le voir par l'élan de fierté national causé par la victoire des fennecs à la CAN 2019, ou par les minimes victoires politiques grâce au Hirak, malgré la répression de l'état, toujours présente.
Le football, plus que jamais fondamental dans la société algérienne, se voit être un instrument politique fort. Mais il pourrait également être une arme diplomatique, avec la possible organisation d'une rencontre Algérie-France en 2020, significative de rapprochement entre deux sélections qui ne se sont pas rencontrées depuis les incidents de 2001 au Stade de France. Un événement qui pourrait réunir les supporters des deux sélection, dans l'hexagone comme au cœur du Maghreb.
Vincent M.