Les erreurs d'une vie

"Le football n'est pas une question de vie ou de mort, c'est quelque chose de bien plus important que ça"
Bill Shankly (entraîneur légendaire de Liverpool)
Premier attaquant mais surtout dernier défenseur de l'équipe, le poste de gardien de but est probablement celui qui subit le plus de pression. Au niveau professionnel, la moindre erreur est fatale et le fautif est rapidement désigné. Certaines d'entre-elles marquent parfois des gardiens pour la vie comme celle de Karius, gardien de but de Liverpool lors de finale de la Ligue des Champions 2018 contre le Real Madrid, qui a commis deux énormes erreurs qui ont coûté la défaite aux Reds. Ces bourdes ne sont pas nouvelles dans le milieu professionnel et étaient bien plus graves dans le passé : des erreurs de placement ou de mains ont ainsi marqué la vie de deux anciens gardiens professionnel, laissant derrière eux l'image de traître et de principaux coupables de défaites marquantes.

Moacir Barbosa : l'homme qui est mort deux fois
Revenons en 1950, lors de la quatrième édition de la Coupe du Monde qui se joue cette année là sur la terre du football, le Brésil. N'ayant pas été jouée depuis douze ans à cause des conflits militaires mondiaux qui ont touché la planète entière ces années là, la plus prestigieuse des compétitions de football fait son grand retour en 1950 et se jouera tous les quatre ans à partir de cette quatrième édition. Seize pays se sont qualifiés, la compétition se joue à quatre poules de quatre où seul les premiers obtiennent leurs billets pour la poule finale. Les rencontres se jouent en un seul match unique, les joueurs de la Seleçao sont donc avantagés pendant toute la compétition puisqu'ils évoluent chez eux. Cet avantage se traduit par une qualification logique dans la poule finale avec l'Espagne, la Suède et l'Uruguay. Après avoir écrasé la sélection espagnole et suédoise, le Brésil jouera son dernier match contre l'Uruguay, deuxième au classement. Il faut savoir que la poule finale disputée sur trois journées ne comprenait pas de finale proprement dite, mais le "hasard" du calendrier et les résultats des journées précédentes ont fait en sorte que la dernière rencontre de la Coupe du monde oppose les deux premières équipes au classement. Le Brésil paraît largement favoris et vise son premier titre mondial : grâce au classement de la poule, la Seleçao n'a besoin que d'un nul pour être sacrée.
Le match se joue le 16 juillet 1950 dans le mythique stade du Maracana. La population brésilienne, sûre de remporter cette « finale », fait la fête avant le match et remplit le stade. Après 47 minutes, le Brésil ouvre le score et plus rien ne semble arrêter la Seleçao pour qui le titre semble promis. Pourtant, quand le milieu offensif Schiaffino égalise à la 66e minute, le doute s'installe dans le stade. La pression monte, les Brésiliens ne sont plus aussi serein qu'avant le match. C'est à la 79ᵉ minute que Moacir Barbosa entre malheureusement dans l'histoire du Brésil. Alors que l'ailier Uruguayen déborde sur la gauche, le portier brésilien anticipe un centre. Un pas de trop permet à Ghiggia de tirer dans l'angle a moitié fermé du premier poteau de Barbosa : l'Uruguay gagnera ici la deuxième Coupe du Monde de son histoire dans un silence ahurissant et des cris de rage à l'encontre de son gardien de but. Barbosa est considéré comme le principal fautif d'un match qui semblait impossible à perdre. La population pleure sa défaite, elle qui attendait impatiemment son premier titre ne peut qu'accuser Barbosa de traître.

Cette erreur de placement marquera à vie Moacir Barbosa. Lorsqu'on le voit au Brésil, on le renie, on ne l'accepte d'ailleurs plus dans l'équipe. En 1963, Barbosa parvient même à se procurer les poteaux carrés en bois du stade qu'il brûlera. En 1994, soit 44 ans après le drame, on lui refuse l'accès du camp d'entraînement de la Seleçao. Le président de la confédération brésilienne Ricardo Teixeira refusera aussi qu'il commente un match à cause de cette finale perdue. Moacir Barbosa, décédé en 2000, déclarera même «Au Brésil, la peine maximale pour un crime est de 30 ans. Moi, je paie depuis plus de 43 ans pour un crime que je n'ai pas commis ».

Luis Arconada : l'une des plus grandes injustices du football
Le nom est connu, son erreur aussi, mais l'injustice que Luis Arconada a subi suite à sa bourde lors de l'Euro 1984 l'est beaucoup moins. Revenons en 1983 pendant les phases de qualification pour l'Euro 84 où 32 équipes nationales se disputaient les sept places qui permettaient de jouer la compétition durant l'été 1984. Pour se qualifier, il suffisait de terminer en tête de son groupe de qualification. L'Espagne se disputait alors la première place avec les Pays-Bas et avait besoin, lors de la dernière journée de qualification, de battre par onze buts d'écart Malte pour recoller les Pays-Bas à la différence de but et se qualifier pour le prochain Euro. L'Espagne finira par s'imposer sur le score de 12-1 en marquant sept buts pendant la dernière demi-heure : ils accèdent donc à l'Euro 84 malgré des suspicions de triche.
En 1984, la sélection espagnole ne fait pas rêver. Personne ne les voit passer la phase de poule qui permet d'aller en demi-finale à cause de leur niveau de jeu plus qui est plus que limite. L'équipe est même surnommée La Furia à cause de ses joueurs réputés pour être de vrais bouchers sur le terrain. Mené par son capitaine Luis Arconada, l'Espagne s'en sort miraculeusement et accède aux demi-finales de l'Euro grâce des prestations hors normes de son gardien de but : Arconada élimine pratiquement à lui tout seul l'Allemagne des poules et permet à l'Espagne d'être en tête de son groupe. En demi-finale, les Espagnols affrontent le Danemark qu'ils élimineront aux tirs aux buts grâce à une excellente prestation de son gardien alors que les Danois étaient donnés favoris. Luis Arconada est donc absolument essentiel dans cette équipe qu'il emmène pratiquement tout seul jusqu'en finale. Il est sans aucun doute le meilleur gardien de son époque et l'un des meilleurs gardiens que la sélection espagnole ait connue. Son mythe s'écroule pourtant le 27 juin 1984 lors de finale de l'Euro au Parc des Princes qui s'est jouée contre l'équipe de France.

Le stade est plein à craquer ; la France, évoluant à domicile, vise le premier grand trophée de son histoire. Le match commence et Arconada est évidemment titulaire pour ce match. A la 57ᵉ minute, les Français obtiennent un coup franc aux 25 mètres que Michel Platini s'apprête à frapper. Le meilleur buteur de la compétition s'avance, mais ne frappe pas assez fort et la balle semble tranquillement arriver dans les mains du portier espagnol. Arconada bloque le ballon au sol et, sans savoir pourquoi, le relâche tout doucement sous son bras et le laisse tranquillement se loger dans ses propres filets : le mythe d'Arconada s'essouffle ici. Quand Bellone marquera le deuxième but à la 90ᵉ minute et que l'équipe de France remportera le premier Euro de son histoire, Luis Arconada deviendra l'objet d'insultes permanentes : il se fera incendier dans la presse espagnole et sera accuser honteusement d'avoir trahi le pays, à ne pas avoir fait gagner l'Espagne pour des raisons politiques à cause du fait qu'il soit Basque.
Cette histoire reste une énorme injustice car il a permis à une équipe plus que limite de se qualifier et finale. On ne se souviens pourtant que de sa bourde qui l'a marqué pour toute sa vie puisqu'elle est même entrée dans le langage courant des Français : même si aujourd'hui on aurait plus tendance à dire « t'a fait une Edel » ou « une Karius », il faut savoir qu'Arconada avait vraiment marqué les Français. Heureusement pour HugiLloris que la France avait déjà trois buts d'avance lorsqu'il a offert un but aux Croates lors d'un délicieux après-midi de juillet 2018.

Écrit par Axel